Entretien avec Claude Castéran à propos de "Traque sur le GR10", son dernier roman noir

Entretien avec Claude Castéran à propos de "Traque sur le GR10", son dernier roman noir

A l’occasion de la sortie de son 3ème livre en trois ans aux éditions Gypaète, « Traque sur le GR 10 », Claude Castéran répond à nos questions sur la genèse de l’ouvrage, sa définition du « roman noir » et son parcours de journaliste.

 

- Pourquoi avoir choisi le sentier du GR 10 pour décor de ce livre ? 

Jusqu’à présent, mes romans noirs se passaient dans le Haut-Béarn où, retraité, je vis une partie de l’année. Même si je considère cette zone très inspirante pour un romancier aimant la nature (entre la fulgurance du pic du Midi d’Ossau, la beauté d’un environnement préservé en vallée d’Aspe, sans parler du fascinant Aragon voisin), j’avais envie de sortir, sans jeu de mots, de mes propres « sentiers battus ». 
L’idée du GR 10 s’est vite imposée, ce qui ne signifiait pas que je laissais totalement tomber le Haut-Béarn puisque le chemin y passe et y propose d’ailleurs des étapes d’anthologie... 
Puisant dans mes souvenirs de « GRdiste », pas si vieux que ça, j’ai sorti de mes tiroirs les topos-guides du sentier et j’ai même acheté la carte du GR 10 intégral - celle qui ne sert absolument à rien car elle n’est pas assez précise pour aider les marcheurs -, griffonnant de rouge les tronçons les plus excitants. Ce « travail » était très agréable mais j’allais vite buter sur un mur, que dis-je, une paroi !

 

- C’est-à-dire ? 

J’avais sous-estimé la difficulté de mener une intrigue cohérente et prenante sur un itinéraire de mille kilomètres de long qui nécessite une bonne cinquantaine de jours pour être parcouru (pour un marcheur normal). 
En fait, j’allais radicalement à l’encontre des fameuses règles d’unités de temps et de lieu, chères au théâtre classique. Si j’introduisais un meurtre au départ du chemin, qu’allais-je mettre après ? Si je le situais à la fin, que raconter avant ? Une autre question me taraudait : si le GR 10 était en quelque sorte le « personnage central » du livre, devais-je insister sur la description des paysages traversés ? Les lecteurs montagnards, qui connaissent le GR 10, et les touristes, ou les gens qui ne marchent pas, n’ont pas les mêmes envies ! Il me fallait trouver le bon dosage. 

 

- Vous avez tranché... 

Magie de la création littéraire ! Il arrive un moment où les « prises de tête », comme on dit, deviennent constructives, où, du désordre apparent, surgissent des lignes de force, des préférences. 
C’est le signe qu’un travail de maturation a opéré et que le temps de l’écriture peut commencer.  Avec d’autres défis ! Mais, au moins, on chemine, on avance, même si c’est parfois à l’aveugle ! Et on en vient à se comparer au randonneur patient qui franchit, non sans suer, les étapes, une après l’autre. C’est comme si un mot équivalait à un pas... 
Pour en revenir au GR 10, je n’ai trouvé sur internet aucun « polar » prenant en compte l’ensemble du chemin. Il n’existerait donc (je mets au conditionnel car internet peut avoir des failles) que des histoires se déroulant sur tel ou tel point particulier du sentier. En revanche, les récits personnels de marche et autres journaux de bord sont, légitimement, nombreux.

 

- Elle raconte quoi, cette « traque » ? 

Je ne vais que révéler le début, lequel est d’ailleurs sans aucun mystère ! Le lecteur apprend tout de suite qu’un certain Joseph, à la tête d’une bande de bras cassés, veut tuer en montagne (en le poussant dans le vide) un homme appelé à toucher un gros héritage. Si cet individu, qui s’appelle Léon, meurt, ce serait Joseph qui le toucherait. Léon s’embarque sur le GR 10, il y rencontre Lucas, un sympathique libraire en faillite. Ils vont cheminer ensemble et la bande de Joseph les suit... 
Une curiosité : ils marchent d’est (Méditerranée) en ouest (Atlantique). En général, on fait le contraire. Mais nos randonneurs ne sont pas très rationnels !

- Il n’y a pas de femmes dans cette intrigue ?

Si ! Il y en a trois : Karine, qui se croit irrésistible et rêve d’une vie de luxe, Anna, l’artiste amoureuse du bois, peut-être la figure la plus attachante du livre, et Geneviève, une vieille fille austère, détentrice de lourds secrets.

   

- Héritage... Faillite... Luxe... C’est l’argent qui motive tous ces gens ?

Essentiellement oui ! J’assume tout à fait cette phrase tant de fois entendue mais jamais démentie par l’histoire : le sexe, le pouvoir et l’argent sont les grandes forces archaïques et sociales qui font tourner le monde. L’argent, ici, est d’autant plus obscène qu’il tient la vedette dans un environnement d’une grande beauté, où dominent généralement des sentiments nobles comme l’entraide ou la confiance.

- Pourquoi qualifiez-vous vos livres pyrénéens de « romans noirs » et pas de « polars » ?

« Polar » est un mot simple et pratique. Il est normal qu’on l’utilise abondamment, qu’il s’agisse de littérature et de cinéma. On parle aussi de « roman policier », « roman noir », « suspense », « thriller », « espionnage » etc.
Je ne suis pas un obsédé des classifications et ça ne me gêne pas qu’on qualifie mes livres de « polars », voire de « thriller », puisque je parle de crime, de victime, d’enquête et de coupable. 
Mais, pour moi, un « polar », c’est avant tout une histoire racontée du point de vue du policier (ou du détective) cherchant à identifier un assassin, en général dans un décor urbain.
Dire « roman noir » permet d’informer le lecteur : il a entre les mains une fiction de forme classique, autour de personnages parfois ordinaires mais qui cachent des fragilités. Ils vont basculer, à leur corps défendant, vers la violence, incapables d’échapper à un destin qui semble les manipuler. Ainsi, du « roman », on passe au « noir »... 
Pour moi, le décor montagnard et les liens entre les personnages comptent plus que l’enquête à proprement parler. Savoir si le coupable va être arrêté par les gendarmes (en milieu montagnard ou rural, il n’y a guère de policiers) et condamné par la justice des hommes n’est pas prioritaire.
En tout cas, j’adore jouer avec l’idée, banale mais terriblement efficace, qu’il faut se méfier des apparences : un monstre n’est pas forcément un « méchant » à 100 % et un saint n’est pas systématiquement un « gentil ».
Et je reste très loin des « polars » avec serial-killers, longues scènes « gore » ou d’inspiration fantastique ou surnaturelle, découpages choc des paragraphes (phrases ultra-courtes, alinéas permanents pour mieux frapper le lecteur), pratiques très anglo-saxonnes. 
Je voudrais enfin ajouter que les couvertures des « polars » de Gypaète sont très élégantes, avec une belle photo, jamais en couleur, surmontant un grand espace blanc : écrire des histoires noires derrière tant de blanc est assez chic !  

- Vous avez longtemps travaillé à l’Agence France-Presse, réputée pour son sérieux. Comment passe-t-on de cette rigueur à un imaginaire débridé ?

En effet, l’imagination est un mot qui n’a pas sa place à l’AFP, laquelle est chargée, je le rappelle, de fournir de l’information juste et vérifiée à ses milliers de clients du monde entier (médias, ambassades, entreprises, etc). Sacré défi par les temps qui courent ! Un bon journaliste, c’est avant tout quelqu’un qui est curieux d’autrui, qui écrit sans jargonner. De cette école-là aux exigences du roman, noir ou pas, il n’y a qu’un pas. 
Me concernant, il ne s’est pas fait en un jour. J’ai commencé par des romans pas du tout noirs ! A l’approche de la retraite, j’avais envie de faire des choses nouvelles. Etre un « vieux » pas très sérieux me semblait un bon projet ! Déjà, j’avais sous les yeux un décor rêvé pour y créer des intrigues : la montagne et ses sortilèges.

- Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai passé quatre décennies à l’AFP ! Dans les années 80, j’ai été correspondant de l’agence à l’Hôtel Matignon (mon bureau était dans la salle de presse) où j’ai couvert les activités de plusieurs chefs de gouvernement. J’ai accompagné Chirac en Afrique, Rocard dans le Pacifique, etc. Ensuite, j’ai été nommé correspondant permanent à Washington, Madrid et Montpellier.
Au détour du siècle, sans doute fatigué par la « tyrannie de l’info », j’ai changé d’univers, sans quitter l’agence. J’en suis devenu le chroniqueur littéraire pendant une dizaine d’années, tout en enseignant le « journalisme littéraire » dans une école de journalisme et en me mettant moi-même à écrire : des fictions, un essai Jeunesse (chez Actes Sud) sur le fonctionnement des médias, deux biographies de De Gaulle et Mitterrand, à partir de photos, rares ou inédites, puisées dans les incroyables archives de l’agence. En 2014, est paru mon premier roman noir pyrénéen, « De la blanche sur le Somport ». 
Aujourd’hui, je sais juste que je n’ai pas envie de redevenir « sérieux » !

 

- Comment interpréter cette phrase ? Cela signifierait-il que vous préparez déjà un 4ème roman noir pour Gypaète ? 

Un écrivain a toujours un livre, voire plusieurs, en tête ! Après, il ne reste plus qu’à l’écrire (rires) : ça peut prendre des mois, des années, voire ne jamais aboutir !

 

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